Science Politique
Première Partie : L'administration du politique
Chapitre 1 :
La monopolisation étatique des fonctions gouvernementales
L'état
devient une structure, qui, parce qu'elle est une autorité reconnue n'a
pas besoin de la force en actes pour être reconnue.
L'organisation étatique
La monopolisation de la domination politique
L'expropriation des puissances privées (Norbert Elias)
Loi du monopole :
Monopolisation de la guerre et des moyens de force qui assurent la domination physique
Concurrence
entre les différentes entités féodales qui va apparaître et favoriser
l'émergence d'une unité de domination (une des parties prenant le
dessus).
Naissance de l'Etat :
L'institution
étatique se sépare de la société, s'institutionnalise avec la fin du
patrimonialisme. Forme de domination traditionnelle orientée par
l'exercice d'un droit personnel, absolu. « La puissance est appropriée
» (Charles Loyseau)
Vassalité :
Les
rois s'entourent d'hommes de guerre dans une relation particulière : le
contrat vassalique. D'un côté une promesse de fidélité (ne rien faire
qui pourrait causer du dommage à son seigneur + services -« auxilium »-
et conseils -« concilium ») et de l'autre une protection. Ce système se
généralise quand en 865, Charles le Chauve va obliger tout homme libre
à se lier à un seigneur. Avec ce système l'éparpillement de la
puissance a pu aller jusqu'à une centaine d'unités politiques (dans les
années 1030-1050). La puissance royale était très limitée. Le roi n'est
alors qu'un seigneur qui ne prête hommage à personne.
Fief :
Les
vassaux vont se voir attribuer la propriété des terrains qui leurs sont
donnés (avant il les avaient en bénéfice viager). Le capitulaire de
Quercy-sur-Oise autorise l'hérédité du fief.
Au
XIIe siècle une révolution s'opère : renaissance de l'économie,
monétarisation des échanges politiques : les concessions royales
deviennent rentables, un surplus se dégage qui permet de faire des
investissements dans le militaire.
Processus
d'unification du territoire :Les maisons princières sont assujetties à
la maison de France. Les puissances privées sont expropriées au profit
de la maison de France.
A
la fin du XIIe siècle il y avait 12 maisons, il n'y en a plus que 5 au
XIVe. La maison de France n'aura bientôt plus de rivaux.
Cette
transformation débouche sur la constitution d'une structure de
domination d'un genre inédit. La puissance royale va lutter contre les
prétentions des empereurs et des papes.
- La menace de l'empire :
Vers
960 l'empire se reconstitue. Les rois et l'empereur se livrent une
lutte sans merci. Au XVe siècle, les légistes du roi vont tenter de
légitimer son pouvoir en bâtissant une théorie : « le roi est empereur
en son royaume ». Cette théorie donne à la couronne des droits
inaliénables et exclusifs. C'est le début du mouvement de
patrimonialisation du pouvoir : il se dépersonnalise, le roi devient
royauté, principe supérieur et éternel. C'est la naissance de la
souveraineté comme concept politique : le roi n'en est plus le
propriétaire.
Prétendre être empereur en son royaume c'est affirmer qu'il n'y a pas d'autorité supérieure à la sienne dans son royaume.
La menace de la papauté :
La
papauté (Vatican) naît de la querelle entre l'église et l'empire. Au
XIIe siècle, Grégoire III a voulu soustraire l'église et la nomination
du pape à la domination de l'empire, c'est la « querelle des
investitures ».
La
papauté prétend dominer la France car « les rois sont rois par la grâce
de dieu ». La réponse des légistes français est le Gallicanisme, fondé
sur les propos du Christ « rendez à César ce qui est à César et à dieu
ce qui est à dieu ».
Le prélèvement étatique
Au
moyen-âge plusieurs puissances pouvaient lever l'impôt. Les ressources
étatiques provenaient de butins de guerre, de razzias. Il n'y avait pas
de bases financières à l'Etat.
1439
: apparition d'un système de prélèvement fiscal moderne qui assure à
l'Etat les moyens de son expansion territoriale. Ce système a 3
caractéristiques :
régularité
du prélèvement (avant les vassaux versaient une certaine somme quand
ils le voulaient et contre quelque chose - maintenant le roi obtient le
financement de son service armé par des règles écrites)
légitimité nouvelle : l'impôt est finalisé (le roi prétend protéger ses sujets)
Deux
éléments légitiment le prélèvement fiscal : défense et sécurité du
royaume d'une part, développement d'un état entité abstraite d'autre
part.
«
La structure de l'Etat apparaît essentiellement comme un produit
secondaire des efforts des gouvernements pour acquérir les moyens de la
guerre » (Charles Tilly) - Les chiffres illustrent bien ce propos, au
XVIIe siècle on dénombre environ 100 conflits dans lesquels la France
est impliquée, on en dénombre 200 au XIXe siècle.
L'institutionnalisation de la domination politique
La figure de l'Etat
La
puissance se métamorphose en une administration, l'Etat moderne qui se
spécialise dans les tâches gouvernementales. L'Etat moderne est rendu
possible par l'établissement d'institutions permanentes et
spécialisées. L'Etat est le propriétaire d'un être collectif ( : la
Nation) dont le roi s'efforce d'être le serviteur. Le gouvernement va
consister en une technique servant à conduire les hommes dans leurs
rapports, leurs liens avec les choses que sont les richesses,
ressources, subsistances, territoire dans ses frontières, climat,
fertilité et plus largement avec les manières de penser et d'agir de
chacun.
La police :
Ressort essentiel qui favorise le passage d'une bureaucratie patrimoniale à une bureaucratie de fonctionnaires.
Ex. : la police des eaux et forêts au XIIIe siècle est la première administration véritable.
Dans les villes les polices étaient armées par la bourgeoisie locale. Puis petit à petit une police publique s'est développée.
1667 : Création du poste de Lieutenant Général de Police, responsable devant le roi de la sécurité de tous
Dans les campagnes, la maréchaussée (corps militaire) est placée sous l'autorité de l'intendant du roi.
1829 : Police civile en uniforme
Le
développement de la police est indépendant de celui de la criminalité.
Il y a là une logique endogène, une dynamique de monopolisation de la
violence physique légitime. La légitimité vient du fait que la police
veille à l'application des lois de l'Etat.
Les fonctionnaires :
Fin
XVIIIe siècle : la bureaucratie versaillaise compte 670 membres. Sous
la révolution française on compte 3000 fonctionnaires. 7000 sous le
directoire. 47000 fonctionnaires civils en 1914 et aujourd'hui ils sont
près de 2 à 3 millions (et si on ajoute les non civils ils sont près de
5 à 6 millions). Ce tropisme français matérialise le culte de l'Etat
comme représentant de l'intérêt général et régulateur de la société.
La socialisation politique
La
révolution française fut une révolution pédagogique : volonté de
régénérer l'homme pour faire naître un homme nouveau, développement de
l'école…
Jusqu'à
la révolution française, le pouvoir du roi trouve sa légitimité dans le
fait qu'il est chargé de faire sur terre une société à l'image de la
société céleste (ex. : St Crème, pouvoir thaumaturgique…). La
révolution opère une sécularisation/laïcisation du politique. Le schéma
trifonctionnel de la société de l'ancien régime (les trois états) cède
le pas à une conception du corps politique comme un agrégat d'égaux
réputés êtres de raison.
Un
travail de socialisation est fait par le biais de l'école primaire.
Eglise et Etat vont lutter pour avoir le monopole de l'éducation. C'est
l'état qui va l'emporter. L'Etat va acquérir le monopole de l'éducation
légitime.
Le nationalisme et la nation :
Pour
Ernest Gellner l'invention du nationalisme va permettre à l'Etat de
donner une tournure culturelle à cette unité symbolique qu'est
l'imaginaire national. C'est le nationalisme comme mobilisation
culturelle et politique qui crée la nation. L'enjeu du nationalisme est
d'homogénéiser la culture des citoyens d'un Etat-Nation pour clôturer
l'espace de l'identité nationale et circonscrire le territoire
politique sur lequel l'Etat exerce son autorité. Ex. : les « morts pour
la patrie » sont un processus de contrôle de l'identité nationale, un
mécanisme d'exaltation de la patrie. Le développement d'une conscience
nationale autorise une partition nouvelle entre les nationaux et les
étrangers. Pour enclore il faut exclure.
L'Etat
peut être défini comme une entité politique qui revendique avec succès
la contrainte physique et psychique et qui favorise son développement
par un quadrillage interne de la société en voie de nationalisation.
Cet « imaginaire national » (Bénédicte Anderson) va disqualifier
politiquement les communautés familiales, professionnelles (cf. loi le
Chapellier) ou religieuses qui servaient de marqueur identitaire à
l'âge pré-nationaliste. Le national prend le relais sous forme d'une
allégeance exclusive. Il s'exprime sous la forme d'un patriotisme
abstrait (dénué de finalités particularistes) qui congédie le
patriotisme communautaire d'antan.
L'émergence d'un nouvel espace public
La
notion d' « espace public » (Jürgen Habermas) désigne un produit de
l'action qui s'oppose à l'absolutisme car elle fait admettre le
principe de pouvoir en discuter public de la légitimité du pouvoir.
On
prend ainsi petit à petit l'habitude de mettre en cause, de demander
des éclaircissements. C'est un processus de publicité qui est mis en
place et qui permet l'émergence d'une force nouvelle :l'opinion
publique.
Pour
Hannah Arendt, le terme public a un double sens : ce qui paraît en
public d'une part et le monde lui-même en ce qu'il nous est commun à
tous d'autre part. Pour elle l'Etat moderne doit se soumettre à cette
puissance qu'est l'opinion publique, être à son service.
Souveraineté nationale et nouvelles formes d'action publique
L'émergence
de l'Etat moderne c'est l'avènement de la théorie d'une souveraineté
sans partage. Plénitude d'une puissance qui n'a ni limites, ni
supériorité, qui s'exerce sur toute personne comme sur toute chose qui
relève de sa juridiction.
L'unification territoriale
La frontière
Jusqu'au
XVIIIe siècle, la frontière est vue comme une démarcation naturelle
entre des puissances seigneuriales ou également comme un territoire
tampon entre les maisons princières. Il existe un flou volontaire
autour de la notion de frontière.
La
révolution française impose une conception nouvelle. La démarcation
entre les territoires se veut définitive, précise, elle se matérialise
par des postes de garde qui assurent le contrôle des flux humains et de
marchandises. La frontière joue ainsi un rôle politique déterminant
pour fixer le principe d'une appartenance exclusive, opposition du «
nous » national au « eux ».
L'homogénéisation culturelle d'un territoire
Fin
XIXe, les géographes imposent l'image d'un hexagone. Un territoire
dominé par une capitale, capitale qui devient le réceptacle des
imaginaires provinciaux. Cette représentation passe sous silence les
résistances des périphéries à ce centralisme culturel (ex. : au XVIIe
siècle le Parlement de Dôle refuse l'allégeance à la capitale)… ce qui
souligne bien le travail de coercition de l'Etat. La constitution de la
France a été un travail lent qui s'est confronté à trois processus (cf.
Albert Hirschman):
la « loyauté politique » (les périphéries ont fait allégeance)
la « prise de parole » (contestation des périphéries mais pas de remise en cause frontale de la centralisation)
« exit » (la défection - refus de l'emprise bureaucratique)
Le loyalisme politique
La mobilisation nationale
Le
mouvement d'unification national a été facilité par le loyalisme
politique. La mise en place d'un système de Sécurité sociale a permis
une homogénéisation de la population. L'Etat gagne en légitimité à
répondre aux revendications des classes sociales meurtries par la
modernisation en se transformant en une structure redistributrice,
protectrice. L'Etat-providence arrive tardivement en France (si on
compare au Royaume Uni, à l'Allemagne, l'Autriche, la Suède ou la
Norvège).La première loi sociale date d'avril 1898 et porte sur les
accidents du travail.
1938 : création des ASSEDIC contre les milieux patronaux, syndicaux et caritatifs traditionnels.
Mourir pour une croix : le loyalisme honorifique
La
République reprend à l'Ancien Régime les vieilles recettes qui
permettent de produire de l'allégeance. Parmi celles-ci, l'émulation
honorifique. La France moderne compte plus de 2 millions de décorés
officiels vivants. Il existe 60 types de décorations différents contre
4 sous la monarchie. C'est une société de l'honneur. Les médailles sont
une véritable monnaie symbolique. Les lumières avaient déjà dénoncé cet
assujettissement en soulignant que la vertu n'a pas besoin de signes.
La France républicaine en 1 siècle a instauré 12 fois plus de
décorations que la France monarchique en 500 ans. La décoration opère
comme un signe de validation du mérite, elle transforme des
comportements ponctuels en dignités établies.
De la souveraineté aux réseaux d'action transnationaux
Les nouvelles formes du militantisme
Les
transformations économiques et sociales ont, depuis le milieu des
années 1970, généré un processus de mondialisation. Des formes
d'intégration régionale nouvelles (UE, MERCOSUR…) ont mis à mal les
schémas classiques du pilotage de l'action politique.
Fini
le temps où les problèmes pouvaient être découpés en logiques
sectorielles spécialisées, où les « solutions » apparaissaient fiables,
standardisées, répétitives, où les demandes sociales étaient
interprétées de façon souveraine par les fonctionnaires.
Des
problèmes horizontaux et non plus verticaux surgissent : on veut faire
de l'interministériel, de la coordination, de la transversalité… les
solutions sont elles-mêmes de plus en plus incertaines.
Le
secteur public n'agit plus seul : l'Etat coopte des partenaires privés,
publics, associatifs avec lesquels il développe des formes nouvelles de
coopération, de responsabilité.
Les
formes de militantisme se métamorphosent : une nouvelle classe de
litiges et de revendications « post-matérialistes » voit le jour :
environnement, égalité des sexes, intégrité des corps…
Prendre
en charge, mettre en forme la justesse/justice d'un intérêt défendu
suppose tout un travail spécifique, une stratégie de « scandalisation »
du grief. On spectacularise (car le nombre ne fait plus le succès), on
cherche à obtenir des appuis logistiques, à avoir un porte-parole.
L'art de mettre en scène la protestation se modernise.
« Globalisation » et « Gouvernance » : les métamorphoses de l'action publique
De
nouveaux mouvements font leur apparition sur la scène politique. Des
groupements écologistes, féministes… etc apparaissent et semblent doués
d'ubiquité. Ils tissent des réseaux d'action qui travaillent à
substituer aux allégeances stato-nationales de nouvelles formes de
fidélité. On constate le même processus pour le crime organisé et
l'action terroriste.
La
souveraineté, largement discréditée aujourd'hui, ne laisse pas la place
à des échanges individuels de type commercial mais elle donne aussi un
coup de fouet à de puissants réseaux de domination et de transaction
illégale, une logique de l'intérêt menace les partages les mieux
établis. C'est un modèle d'organisation qui se disloque, celui de la
domination légale-rationnelle, sous l'action de réseaux et de
puissances privées.
Chapitre 2 :
Le pouvoir bureaucratique
Nous prendrons le terme bureaucratie dans son sens étymologique, i.e. le « pouvoir des bureaux ».
Les théories de la bureaucratie peuvent être regroupées autour de trois pôles :
le modèle Weberien :
Modèle
de rationalité administrative qui s'oppose aux logiques traditionnelles
et charismatiques de l'action collective. C'est une méritocratie
(système fondé sur une compétition ouverte). Une organisation
impersonnelle fondée sur la compétence juridique des agents, un mode de
domination qui renvoie à la figure du fonctionnaire comme idéal-type de
pouvoir.
Le fonctionnaire est caractérisé par les propriétés suivantes :
il est personnellement libre (il obéit au devoir de sa fonction mais il n'est pas lié absolument à un chef)
sa fonction appartient à une hiérarchie solidement établie.
il possède des compétences qui justifient sa position dans la hiérarchie
il est recruté en vertu d'un contrat fondé sur une sélection ouverte
il est payé par des appointements fixes en espèces (modèle salarial)
il exerce son action à titre principal et exclusif
il voit s'ouvrir à lui une carrière mêlant ancienneté et mérite
il ne possède pas les moyens administratifs qu'il utilise (ils restent la propriété de l'Etat)
Le mot-clef pour qualifier ce modèle est la rationalité.
les thèses de la convergence (théoriciens des années 1950) :
Toutes
les sociétés industrielles, quels que soient leurs idéologies, seraient
dirigées par une classe de managers technocrates (cf. John Bernham, La révolution managériale),
des officiers d'Etat dont le pouvoir s'appuie sur la technique et les
ressources administratives. L'avenir du pouvoir se lit dans la
convergence de ces sociétés vers un mode de commandement appuyé sur
expertise, régulation technicienne et ressources scientifiques.
les critiques formulées par l'école du « public choice » relayées par l'école des choix rationnels :
la lecture juridique de l'administration est insuffisante (elle est notamment transparente au sujet des hommes politiques)
l'administration
génère son propre pouvoir qui peut se substituer au législateur (cf.
d'ailleurs Weber écrivait que « dans un Etat moderne, le dirigeant réel
est nécessairement et inévitablement la bureaucratie et ce pouvoir
s'exerce à travers les routines de l'administration »).
La
bureaucratie est un groupe social à part entière. Elle a un appareil
politique qui est le rival du parlement car attaché à promouvoir une
rationalité pour les intérêts qui la concernent en vue de maximiser
certaines utilités.
Les
hauts fonctionnaires sont d'abord motivés par des intérêts de carrière
qui rendent compte de l'expansion de leurs agences. Le développement de
l'Etat répond à une dynamique interne au gouvernement, la
multiplication de grandes structures facilitant l'hégémonie de cette
catégorie sociale.
Bureaucratie et domination sociale
La carrière bureaucratique
1) Le recrutement
Le
principal souci des hommes politiques est de s'assurer la loyauté de
l'administration, de recruter des hommes fiables et honnêtes.
- Le recrutement dans les classes supérieures :
Pendant
longtemps, la seule règle de recrutement était d'être né dans une
classe supérieure qui payait le cens. Recruter était un pouvoir
discrétionnaire.
Sous
la monarchie de Juillet, les fonctionnaires étaient recrutés dans le «
pays légal » (10-12000 personnes), i.e. dans les milieux favorisés
grâce aux réseaux de connaissances. Ces jeunes gens avaient une petite
formation dans des facultés de droit pour maîtriser les outils
juridiques élémentaires.
- La démocratisation du recrutement :
1845 : projet d'une E.N.A. soutenu par Hippolyte Carnot et Girardin
1872 : fondation de l'Ecole Libre des Sciences Politiques (école privée) qui est un succès (mais la formation est payante)
En 1936, sur 700 hauts fonctionnaires, 643 sortent de l'ELSP.
Au début du XXe siècle, idée de démocratisation.
1945 : création des IEP de Paris et province.
Cependant aujourd'hui encore le recrutement des IEP est formellement libre mais socialement inégalitaire.
2) L'avancement
Avant
le pouvoir des chefs de bureau en cette matière était discrétionnaire.
La jurisprudence du Conseil d'Etat a progressivement amené l'idée d'un
arbitraire des chefs d'administration. Le concours et les règles vont
remplace le système clientéliste.
3) Méritocratie et reproduction sociale
Le
système des grandes écoles continue d'être l'antichambre du pouvoir de
l'Etat : c'est là que se recrute l'élite sociale. Cette élite sociale
se recrute toujours dans une élite scolaire.
A
l'ENA, Polytechnique et HEC dans les années 1950 il y avait 29% de
jeunes d'origine populaire. Ils ne sont plus que 9% aujourd'hui.
Pour
un jeune d'origine populaire la chance d'intégrer ces écoles est 24
fois plus élevée que pour des enfants de cadres, d'enseignants.
La
reproduction sociale est très présente. Dans les années 1950-60, les
inspecteurs des finances ont des parents venant pour 12% de la haute
bourgeoise/aristocratie, pour 20% du commerce et de la banque, pour 16%
des professions libérales et pour 30% de la haute fonction publique. On
peut donc parler d'un système de cooptation tempéré.
Avec l'URSS, la France présente un cas unique dans le monde d'une élite formée par et pour l'Etat.
La question des élites bureaucratiques
1) La stratégie des élites
Intégration
des élites aux grands corps dans le cadre de leur formation. Mise en
interdépendance intérêts individuels et intérêts de corps (un
inspecteur des finances défend aussi l'intérêt de son corps). Certains
corps monopolisent les fonctions de responsabilité dans les ministères
(ex. : les polytechniciens au ministère de la recherche).
2) L'invention d'un esprit de corps : exemple des préséances civiles et militaires
L'élitisme
technocratique est un mouvement né dans l'entre-deux guerres. C'est
l'idée que la véritable onction du pouvoir d'Etat est le savoir, qui
est à l'origine de la production des élites et qui légitime leur action.
L'élitisme
technocratique repose sur l'affirmation de la supériorité de
l'expertise technique sur la légitimité démocratique. L'intérêt général
doit être encadré par le savoir.
L'esprit
de corps doit aussi beaucoup à des règles de préséance, à un ordre
hiérarchique des positions de pouvoir, i.e. à un protocole.
Au
XVIIe siècle, Jean Domat insiste sur l'utilité des préséances tenant
d'abord à la rationalisation d'un principe de commandement et d'ordre
public : le protocole sert non seulement à prévenir le désordre dans la
marche de l'Etat mais aussi à arbitrer les ambitions, ménager les
appétits et les susceptibilités : il constitue une technique de
gouvernement à part entière.
Napoléon 1er va lui aussi fabriquer du protocole.
Le
protocole est l'étiquette bureaucratique qui définit les règles de
déférence à l'autorité. Les grands corps sont subordonnés les uns par
rapport aux autres. C'est une véritable chaîne d'exécution qui « va
descendre sans interruption du Ministre à l'administré et transmettre
la loi et les ordres de commandement jusqu'aux dernières ramifications
de l'ordre social avec la rapidité du fluide électrique » (Chaptal,
ministre de l'intérieur sous la révolution).
Une véritable nomenclature de la déférence voit le jour.
La
légitimité bureaucratique est bien installée. Les français, dans leur
ensemble, sont largement convaincus que les chefs de service et
responsables administratifs doivent leur position d'autorité à la
détention d'une compétence spécifique. En outre, les français sont
convaincus que ces positions d'autorité reviennent à des individus qui
sont nés chefs, qui ont un droit acquis dès la naissance à exercer ces
positions. C'est l' « aristocratie républicaine ».
Bureaucratie et domination politique
L'article 2 de la constitution de 1958 définit l'administration comme séparée du politique et subordonnée à lui.
A- La dépendance politique
1) L'asservissement idéologique
Sous
la monarchie, les élites étaient partagées entre le souci de
l'efficacité de l'administration et celui d'une loyauté idéologique
absolue. C'est l'idée que certaines fonctions sont trop importantes
pour reposer sur la seule compétence. Ainsi Napoléon choisit ses
préfets parmi les hommes favorables à sa politique. Il va mettre en
place une technique pour garantir cette loyauté : la « prestation de
serment » : engagement public à être fidèle politiquement au chef de
l'Etat. Sous la monarchie censitaire la prestation de serment est
conservée. Sous la IIE république, malgré un souci de démocratisation,
le ministre de l'intérieur Ledru-Rollin demande aux commissaires de la
république de montrer l'exemple aux autres en leur apprenant à « bien
voter ». Sous la IVe république, les préfets deviennent des agents de
la lutte contre le communisme. Sous la Ve république l'importance
politique ne s'est pas atténuée. Il y a toujours des épurations au sein
de l'administration au lendemain des changements de majorité.
Les
dernières grandes épurations datent de Vichy puis de la Libération. On
a souvent dit qu'elles avaient été massives mais cela n'a été vrai que
pour certains corps (ex. : le corps diplomatique, épuré aux 2/3 mais la
cour des comptes n'a pas changé, le corps préfectoral presque pas et le
Conseil d'Etat a gardé la même composition à 90%). Quand l'épuration a
été faite elle a consacré le principe de la loyauté idéologique (selon
lequel les fonctionnaires ne doivent pas obéir à une autorité illégale).
2) La subordination fonctionnelle
Les
fonctionnaires ne se remplacent pas facilement notamment dans la
fonction publique. Dans la fonction publique un syndicalisme puissant
s'est développé qui va travailler de concert avec les autorités. Il
s'agit d'un syndicalisme intégral qui estime que le service public
devrait être autogéré par les fonctionnaires. Le syndicalisme va
progressivement se laisser envahir par l'esprit de corps, la puissance
hiérarchique, il va épouser dans son organisation interne les contours
de la stratification administrative. Les syndicats deviennent une
bureaucratie supplétive.
Sur le plan fonctionnel ceci présente de nombreux avantages :
pour les ministères, c'est une cogestion de l'administration car les syndicats relaient les informations.
pour les syndicats l'administration leur apporte des moyens financiers
B- Le concept de pouvoir politico-administratif
1) La prétention à l'indépendance : construction d'un modèle
On peut avoir deux lectures du degré d'autonomie du personnel politique et des hauts-fonctionnaires :
on
peut considérer que ce personnel constitue une classe homogène, un
milieu dirigeant soudé par des intérêts spécifiques (c'est la thèse
moniste, cf. Wright Mills)
on
peut avoir une lecture polyarchique (cf. Robert Dahl) : un Etat dirigé
par un personnel hétérogène aux intérêts opposés, servant de
porte-parole à des groupes sociaux différents.
L'autonomie fonctionnelle de l'Etat s'est progressivement imposée en droit dans toutes les grandes démocraties.
Aux
Etats-Unis, le « Pendleton Act » de 1883 impose le système de
recrutement au mérite et offre des garanties statutaires aux agents
fédéraux. La bureaucratie fédérale tire son autorité de la division
dans l'espace des sources du pouvoir bureaucratique, de la
fragmentation des responsabilités.
La
séparation des pouvoirs met la bureaucratie fédérale en concurrence
avec la puissante bureaucratie du congrès. Les agents fédéraux sont
très attachés à l'idée d'une compétence fondée sur des examens de
compétence dont ils sont d'autant plus jaloux que les responsables
politiques de l'administration relèvent de la connivence (ce sont les
financiers de la campagne électorale qui sont placés aux plus hauts
postes).
2) De la fusion à la dissociation des pouvoirs
Sous
la monarchie de Juillet il y a fusion des pouvoirs car la bourgeoisie
occupe tous les hauts postes. Puis une cohabitation s'installe.
3) La IVe république ou la dissociation renforcée
Les
ministres continuent de se recruter au parlement. La haute fonction
publique renforce son homogénéité (rôle de l'ENA), sa légitimité en
termes de compétence est de plus en plus associée à l'efficacité en
politique. La haute fonction publique va progressivement déborder de
ses fonctions parce qu'elle se sert de ses cabinets comme de tremplins
pour une carrière politique. Elle se jette dans l'arène électorale.
4) La république des fonctionnaires
La
Ve république prend le contrepied du régime d'assemblée en établissant
l'incompatibilité entre les fonctions ministérielles et parlementaires
(dissociation du pouvoir). Il s'en suit une division du personnel
politique qui va perdre de son homogénéité : il faut choisir entre
carrière ministérielle ou parlementaire.
Par
ailleurs, on note un attrait croissant du secteur privé pour les
fonctionnaires. Dans les années 1950, moins d'1% des énarques avaient
franchi la ligne jaune. Dans les années 1970 ils étaient 12% puis 17%
dans les années 1990.
37
députés sont d'anciens énarques (les énarques sont de plus en plus
nombreux en politique). C'est la fin d'un modèle, celui de la
république des fonctionnaires à cause d'une subversion des valeurs du
service public par celles de l'entreprenariat privé et de la
compétition électorale.
C'est
un pouvoir politico-administratif qui s'est constitué, un gouvernement
des capables, des hommes de savoir. Marginalisation du parlement,
concentration du pouvoir dans les mains de 2-3 groupes sociaux,
accroissement de l'importance du rôle de la haute fonction publique,
reproduction sociale de cette élite. A côté de cela on note une remise
en cause croissante de ces élites. Ces élites ont un sentiment de
propriété de l'Etat. Le débat oppose deux positions le primat de
l'excellence en termes de compétence bureaucratique ou le primat de
l'onction démocratique.
Seconde Partie : Compétition électorale et science du vote
Le
vote est aujourd'hui considéré comme le seul moyen de consacrer
l'assentiment collectif, de présenter des verdicts souverains. Le vote
comme technique de dévolution du pouvoir apparaît doté d'une
supériorité incomparable.
Vote
vient du latin « votum » qui signifie émettre un vœu dans des
circonstances solennelles, faire une promesse aux dieux, s'engager
publiquement pour une cause. A partir du XVe siècle vote signifie
délibération.
Au début du XVIIIe siècle, vote signifie assentiment par le suffrage. Le vote devient matériel, il devient un bulletin.
En
France jusqu'en 1913 c'est une carte de papier rédigée à la main que
l'électeur remet au président de bureau. En Espagne et au Portugal fin
XIXe, le vote se fait dans les églises après avoir fait une prière. Au
Danemark on livre sa préférence oralement à une assemblée qui écrit le
choix sur un registre. En Angleterre jusqu'en 1872 on vote en se
réunissant, femmes et enfants compris, autour d'une estrade où les
candidats s'affrontent. On est élu à l'applaudimètre (présence de jurés
pour valider le scrutin). Le vote comme procédé de désignation du
pouvoir entre en concurrence avec d'autres procédés comme le tirage au
sort, la cooptation ou la force. Le vote tient les électeurs, son
verdict est implacable, il se pare de la force du nombre, se donne à
voir comme une force extérieure fondée sur l'évidence d'un assentiment
collectif.
Chapitre 3 :
La constitution du marché politique
L'élection
offre le moyen à la collectivité de s'inventer dans l'Etat par sa
représentation, c'est un acte social qui légitime des groupes. D'un
côté des mandataires (« agents politiquement actifs » Weber) qui vivent
pour et par la politique, de l'autre des « citoyens électeurs » réputés
tout puissants mais dont l'action consiste d'abord à « départager des
élites en compétition » (Schumpeter), ce sont des « agents
politiquement passifs ».
La définition du marché
L'approche wéberienne
Dans Economie et société,
Weber dit qu' « on doit parler de marché dès que, ne serait-ce que d'un
côté, une majorité de candidats à l'échange entrent en concurrence pour
des chances d'échange ». Le marché politique est la lutte
concurrentielle pour la conquête de positions de pouvoir et leur usage,
i.e. la légitimité d'en disposer.
L'usage du paradigme économique : l'école du « public choice »
Les
acteurs politiques sont des agents qui cherchent à maximiser les voix
en leur faveur et sont lés entre eux par une relation
d'interdépendance. Les électeurs voteront pour celui/ceux qui leur
procurent le plus d'utilité.
Le
vote fonde un ordre transitif, i.e. si A,B,C représentent des forces
classées de gauche à droite, si le produit des préférences fait que A
est préféré à B et B à C on tiendra pour naturel et nécessaire que A
soit préféré à C. Le corps électoral se conduit rationnellement.
Il y a plusieurs limites à cette théorie :
la présupposée rationalité de l'électeur
la politique ne peut être conçue que sur le mode des seuls intérêts, il y a aussi des logiques émotionnelles
la
vie politique ne peut pas être décrite dans le langage simpliste de la
démocratie sociale comme s'il y avait des entrepreneurs qui ne feraient
que répondre à une demande
Les conditions étatiques de la constitution du marché politique
- Marché politique censitaire :
Les
électeurs sont du même milieu social que les candidats. 250000
électeurs inscrits en 1847, 84% des députés élus avec moins de 400
voix. Les élus fondent leur popularité sur leur notoriété, ils occupent
une fonction politique en prolongement de leur puissance sociale. Le
scrutin est monopolisé par une classe « naturelle » de prétendants.
- Marché politique élargi :
En
France le décret du 5 mars 1848 permet à des millions d'électeurs
d'exercer leur droit de vote et d'être éligibles à toutes les fonctions
politiques. Avec l'élargissement du marché politique, les comités
électoraux (partis politiques) se multiplient, de même pour les
journaux et les déclarations électorales. De nouvelles manières d'élire
et de se faire élire voient le jour. Le nouveau rapport élus-électeurs
est plus idéologique. Des stratégies mobilisatrices nouvelles sont
mises en place : visites à domicile, presse spécialisée,
théâtralisation de l'affrontement politique. Ces stratégies
disqualifient les pratiques traditionnelles de la politique (ex. : le
coup à boire… les élections deviennent de plus en plus sèches). Le
marché politique élargi consacre le passage d'un vote de déférence
encastré dans les relations sociales à un vote politisé fondé sur
l'opinion. C'est l'idée d'une autonomie du politique : les hommes qui
doivent diriger l'Etat/le village ne sont pas nécessairement les
puissants ni même les meilleurs car sinon l'Etat se confondrait avec la
domination.
La différenciation du marché politique
La politisation
La
politique traditionnelle est un monde dominé par des valeurs
religieuses, c'est un monde hiérarchique opposant des puissants « bien
nés » à des gens de peu. Le tout prédomine sur les parties qui le
constituent.
La politique moderne est caractérisée par :
sécularisation des valeurs
généralisation du référent égalitaire (notamment principe « un homme une voix »)
idéologie (la politique devient affaire de convictions)
individualisme
(la politique moderne n'envisage que des consciences libres - elle
devient tabou comme la sexualité ou les convictions religieuses :
secret du vote)
1) La question de la chronologie
L'approche
de la politisation comme un mouvement continu de la révolution à nos
jours a été répudiée par l'historiographie des années 1980 qui a établi
que la politisation n'était pas une nécessité mais un phénomène
contingent qui s'est produit d'abord dans les villes puis a gagné les
campagnes de façon différentielle et avec des retours en arrière. La
politisation est passée par le développement économique, la
scolarisation de masse, l'action propre de structures comme les
syndicats ou l'église qui ont travaillé à éroder les fondements
politiques traditionnels.
2) Une politisation inégale : les données sociologiques
Pour
les sociologues la politisation c'est la capacité à comprendre et à
traiter politiquement les questions qui passent pour politiques dans
une société donnée.
Les
citoyens ne sont pas également compétents pour exercer leur sens
civique. Dans les démocraties existe un impératif quasiment moral
d'avoir des opinions politiques comme si le civisme était la chose du
monde la mieux partagée : on naîtrait citoyen. Cette lecture
spontanéiste est démentie par l'analyse politique :
peut se disent intéressés
selon
le statut occupé, l'intérêt pour la politique varie (ex. : la sommation
de produire une réponse est plus forte chez les hommes que chez les
femmes)
selon le capital scolaire joue (le taux de non réponse baisse quand le capital scolaire augmente)
le statut socioprofessionnel joue aussi (plus il est élevé plus on est conditionné à parler de politique)
la taille des communes joue (dans les villes on est plus politisé que dans les campagnes)
l'âge joue (plus on est vieux, plus on est habilité à en parler)
3) La division du travail politique
- Citoyenneté et technologies de vote :
L'électeur
naît de l'invention du vote. De sujet il devient citoyen
(émancipation). Le corps électoral devient le véritable pouvoir
politique. Le devoir civique se constitue qui pousse chacun à devoir
avoir des convictions, cela pour appréhender des enjeux politiques et
exprimer sa préférence.
Cette qualification morale du geste de vote est liée aux propriétés de la technique elle-même.
Léon Marlin (historien) a restitué la variété des techniques délibératrices de l'Europe médiévale et moderne :
Le « concordie selectione » ou « vote par compromis » :
Pendant
longtemps, les assemblées ecclésiales ont pratiqué le vote plutôt que
l'élection pour éviter de rendre public le désaccord. La communauté se
réunit et désigne un individu en lui donnant le soin de dire qui sera
le chef de la communauté. Le compromissaire recueillait le vœu de tous
les frères puis désignait le chef.
L'approbation avec division des voix (majorité qualifiée) :
Quand
la mainmise est impossible, des techniques de majorité qualifiée
peuvent solenniser l'accord obtenu. C'est un principe de prépondérance
qui fut utilisé en Italie au XIIe siècle.
Le principe de saniorité (la « sanior pais ») :
On
pèse les voix au lieu de les compter. On tient compte du mérite des
votants. C'est le moyen d'assurer à l'autorité de toujours triompher
sur le nombre.
Le principe de majorité (la « major pais ») :
Ce
principe est l'inverse de celui de la « sanior pais ». Il a été inventé
par les grecs aux Vie-Ve siècles avant J.C., oublié par les romains
puis remis au goût du jour dans l'Angleterre du XVIIIe siècle. Cette
règle assure au nombre d'être souverain. Par ailleurs le principe de
vote secret assure l'absence de représailles. Au sein de l'église ce
principe fut également adopté : lors du concile de Trente (1545-1563)
la majorité fut réputée l'emporter sur la saniorité.
Alain Garrigou a fait une autre lecture du développement des procédures de vote. Il distingue trois ensembles :
les expériences informelles de résolution :
Ex. : « palabres » d'Afrique noire. Quand tout le monde est d'accord, on ne formalise pas la décision.
les procédures sensibles de résolution :
La
décision résulte d'un savoir faire de la ratification, cela passe par
l'estimation visuelle du nombre des partisans prêts à soutenir la
résolution proposée.
les expériences formalisées de vote :
Le
processus de rationalisation formelle est ici poussé à son extrême :
écriture, secret, sincérité, procédures standardisées d'expression.
La
loi qui fixe le secret du vote date en France de 1791. Le vote public a
longtemps gardé des partisans. Pour Montesquieu il permettait de «
donner au petit peuple la possibilité d'être éclairé par les principaux
». Pour Jean-Paul Sartre l' « isoloir est le lieu de toutes les
trahisons sociales », il sérialise, pousse à abandonner toutes les
solidarités qui vous font membre d'une communauté.
Les techniques électorales affectent autant l'opinion que son contenu.
Ex.
: En 1994, Bernard Attali avait essayé de faire passer son plan de
restructuration d'Air France par les syndicats. Echec à 80%. Christian
Blanc a soumis le même plan au vote secret : 90% des salariés se sont
déclarés favorables au plan. Le secret individualise le suffrage, il
coupe l'individu de sa communauté d'appartenance. Le secret est
l'instrument et le lieu de fabrication de la citoyenneté.
Aux
Etats-Unis, le secret a été utilisé à d'autres fins. Fin XIXe,
l'adoption de cette technique d'expression a écarté les plus pauvres
jusqu'alors très influents au Congrès. Cette technologie était couplée
à des tests d'alphabétisation et a entraîné une baisse considérable
dans la participation électorale.
En effet voter exige des compétences.
- Le mandat politique :
«
Representare » signifie faire advenir, rendre effectif au vu et au su
de tous. Au sens juridique cela signifie être mandaté pour exercer les
droits ou défendre les intérêts d'une collectivité.
Jusqu'au XVIIe siècle, c'est la représentation liée qui domine (corporations).
L'idée
d'indemnité parlementaire a été introduite par la révolution française.
Aujourd'hui il est à peu près admis que l'indépendance des élus
nécessite l'octroi de revenus spécifiques, revenus mais pas salaires
(car la politique n'est pas un métier). On indexe en France cette
indemnité sur le revenu d'un conseiller d'Etat de deuxième classe en
1947.
La
prétention à pouvoir vivre de la politique traduit une logique de
professionnalisation qui frappe tous les métiers d'élus. Une loi de
février 1992 établit une retraite pour les élus, un crédit d'heures de
formation et un barème de rémunérations. L'attribution d'une
rémunération vise à lutter contre la ploutocratie.
- Les échanges inter-marchés (Smelser) : la corruption politique :
La corruption est une marque de la dissolution d'un régime politique. Il y a différentes formes d'actes de corruption :
l'abus de confiance : détourner l'usage légitime d'un bien dont on n'est pas propriétaire
l'escroquerie : utiliser de faux noms soit par manœuvres frauduleuses, soit pour se faire remettre des fonds
la concussion : extorquer ou entendre extorquer à l'administré une somme comme due en vertu des lois alors qu'elle ne l'était pas réellement
le trafic d'influence : un agent public abuse de son influence et la monnaye
Il existe ensuite différents types de corruption :
la corruption noire : unanimement condamnée
la corruption grise : suscite des jugements contrastés (ex. : faire sauter les P.V.)
la corruption blanche : unanimité de tolérance
La
corruption marque une remise en cause de l'autonomie du fonctionnement
politique. Elle est constituée de quatre éléments essentiels :
violation des règles et normes associées à ce qui est perçu de façon dominante dans la société comme l'intérêt général
échange
clandestin entre les marchés politiques, sociaux et économiques. La
politique se revendique autonome mais est prise la main dans le sac.
Conséquence : on donne à des individus/groupes des ressources d'accès et d'influence dans le processus des décisions publiques
La traduction matérielle de cet échange : les bénéfices tangibles
Pour Alain Garrigou, on peut avoir plusieurs lectures de la corruption :
- une lecture épiphénoménale de la corruption qui assimile ces transgressions à des faiblesses personnelles.
- une lecture pathologique qui voit dans ces actes un signe de l'affaiblissement du système politique tout entier
- une lecture tactique qui voit les affaires de corruption comme des coups politiques (moyens d'éliminer ses adversaires)
-
une lecture stratégique qui propose de rapporter les formes de
corruption à l'univers politique et social qui leur donne le jour pour
comprendre la place qu'ils tiennent dans la dynamique de
professionnalisation des actions politiques.
Le fonctionnement d'un marché politique
La généralisation des échanges
1) La constitution du corps électoral
- Le cas de la France :
Pour
les libéraux jusqu'en 1848 « mieux vaut moins mais mieux ». La
démocratie ne devait s'ouvrir qu'à ceux qui en ont les capacités. Pour
les démocrates au contraire, le vote était vu comme un droit
inaliénable de la personne.
En 1791 : il fallait payer trois journées de travail d'impôt pour avoir le droit de vote.
Restauration : le cens devient plus sévère
Monarchie de Juillet : élargissement de la population pouvant voter (la bourgeoisie pourra accéder au pouvoir)
En
comparaison on voit qu'au Royaume Uni en 1847-48 le corps électoral
était trois fois plus nombreux pour une population deux fois plus
réduite.
1945 : suffrage des femmes
1974 : la majorité politique passe à 18 ans
Cet
élargissement ne traduit pas l'essence de la république mais la
nécessité à des moments de crise politique de recourir à des soutiens
externes politiques pour modifier les fondements de l'affrontement
politique. Les républicains vont longtemps différer l'attribution du
droit de vote aux femmes par peur de fournir ainsi des voix à leur
adversaire politique.
Jusqu'à
la loi-cadre Deferre de 1956, les populations indigènes bien que
françaises restaient exclues du vote. On craignait de les reconnaître
et d'être balayés par le nombre.
Jusqu'en
1975 les indigents n'étaient pas éligibles. Les domestiques, eux, n'ont
gagné une citoyenneté à part entière qu'à partir de 1930. Les criminels
condamnés à des peines de prison supérieures à un mois avec sursis
perdent leur capacité électorale. C'est la « double peine » : ils sont
condamnés pénalement et électoralement.
- Le cas du Royaume-Uni :
Au
Royaume-Uni, la mise en forme du peuple dans sa figure d'électeur s'est
accomplie avec tout autant de réticence. Avant l'adoption de la loi de
1832, la population électorale était inférieure à 4% de la population
totale. De profondes inégalités de représentations existaient (« rotten
boroughs »). Avec la loi de 1832 le cens est passé à 10£ et la
population électorale a été multipliée par 2.
Réforme de 1867 : tous les habitants de bourgs payant l'impôt peuvent voter
1918
: Egalité hommes-femmes devant le suffrage (sauf que jusqu'en 1928 les
femmes ne sont majeures électoralement qu'à 30 ans - contre 21 ans pour
les hommes).
2) L'éligibilité
Pendant
longtemps elle était réduite aux plus riches et aux plus âgés. La
domination politique restait ainsi étroitement liée à la domination
sociale.
3) La multiplication des opérations de vote
En
1940 Paul Reynaud déclare « le peuple est ici (Chambre des députés) et
pas ailleurs ». Les recours au suffrage pour fabriquer de la légitimité
ont depuis été multipliés.
Les différents types de marchés : des marchés centraux aux marchés périphériques et satellites
1) Les marques partisanes
De
plus en plus sous la Ve république, un mouvement d'unification s'opère
des différents marchés électoraux, ils s'imbriquent dans la logique
d'un marché central. En 1973, 67% des candidats aux élections
cantonales étaient présentés par des partis politiques nationaux. En
1982 : 84%, aujourd'hui c'est presque la totalité des candidats. Le
système des alliances politiques à l'échelle locale se plie au schéma
national gauche-droite.
La
perception par les électeurs de la nature de la compétition a elle
aussi profondément changé : en 1982, 89% des électeurs déclarent se
déterminer en fonction de l'appartenance partisane du candidat. En
1976, ils étaient seulement 36% à procéder ainsi.
On note une unification des marques partisanes : la concurrence politique passe par les sigles.
2) La notion d'écart distinctif
La 1e tâche d'un prétendant en politique est de se distinguer. Sa marque doit être perçue comme meillleure que les autres.
Chapitre 4 :
Partis et groupes de pression
Les partis politiques : un objet d'étude illégitime ?
La Ve république est le premier régime qui reconnaît leur existence. Sous la Ve république leur rôle n'a cessé de croître.
On
peut considérer que les partis apparaissent quand leur nom apparaît et
s'impose mais on peut aussi penser que des structures remplissaient des
rôles de partis politiques avant, sous d'autres noms. On remonterait
alors à l'antiquité (clubs, comités, factions…).
Les
partis ont toujours eu mauvaise presse en France (cf. Tocqueville qui
les qualifie de « mal inhérent à un gouvernement libre »).
Les
partis sont des groupements de mobilisation réunis par la lutte
électorale, ils sont fondés sur une certaine communauté d'idées et
d'intérêts.
Pour
Max Weber, l'idéal-type de l'organisation partisane définit le parti
comme issu de la différenciation du politique dans les sociétés
modernes, de la production et de l'échange de biens idéologiques.
L'instauration de l'égalité ne suffit pas à elle seule à
l'apprentissage de la politique. Il faut que les électeurs aient en eux
la certitude que les distinctions entre les candidats relèvent de
différences de fond. Pour que cette certitude existe il a fallu un
énorme travail de socialisation (l'église, l'école, les clubs et les
partis y ont participé). Ces structures ont rassemblé les électorats
autour de signes qui forment autant de façons d'agir et de penser.
La présence de ces labels partisans est ce qui autorise le choix électoral.
Voter
c'est être capable de qualifier des candidatures en présence dans des
termes politiquement construits. Les partis politiques ont rationalisé
l'art de capturer les suffrages (meetings, tracts, campagnes
électorales).
Maurice
Duverger distingue partis de cadres et partis de masse. Les différences
sont visibles notamment sur la question des moyens dont disposent les
candidats pour conquérir les moyens de domination politique :
Partis
de cadres : payer les services d'experts en conseil pour préparer les
élections, payer des colleurs d'affiches, commander des sondages…
Partis
de masse : créer une organisation de masse regroupant des militants
animés par une cause qui vont gratuitement apporter leurs services. Ils
font le travail d'implantation et contribuent au financement des
campagnes politiques.
Le système des partis
Partis et divisions sociales
1) Les relations entre les classes sociales et les entreprises partisanes
Dans Les partis politiques, Maurice Duverger a bâti un modèle d'analyse fondé sur un le processus de formation des partis politiques.
les
partis de cadres : nés à l'initiative des élus qui contrôlent les
ressources nécessaires à la conquête des mandats. Ils sont faiblement
structurés et largement décentralisés.
Les
partis de masse : ce sont des organisations rigides et décentralisées.
Leur matrice sont les syndicats ouvriers. Ce sont des organisations
destinées à mobiliser le grand nombre et à former des militants.
Cette typologie a le mérite de rapporter les conditions de fonctionnement des partis à leur trajectoire sociale.
Martin
Shefter (politologue américain) va se demander sous quelles conditions
un parti peut émerger et dominer la vie politique d'une nation.
Stratégie des leaders des partis qui se lient avec la bureaucratie
d'état. Ainsi ils peuvent utiliser les ressources de l'état. C'est
ainsi que furent créés la plupart des partis centristes et
conservateurs en Europe. Quand les leaders des partis n'ont aucune
place dans la bureaucratie, les partis doivent mobiliser les masses
(=> partis socialistes en Europe, partis nationalistes dans le
tiers-monde).
2) La logique de l'action partisane
Robert Michels (Les partis politiques)
parle de la « loi d'airain de l'oligarchie », pour lui il ne peut pas y
avoir de démocratie au sein des partis. Ces appareils produisent
toujours des permanents qui vont progressivement configurer à leur
profit les canaux de représentation du parti.
Partis et divisions politiques
Le multipartisme français
Le système français à partir de la Ve république se caractérise par :
- organisation du fait majoritaire (dès 1962) : d'où plusieurs répercussions :
éclatement du centre
regroupement des pôles oppositionnels (la gauche va devoir se réunifier pour espérer l'emporter)
- système partisan
Aujourd'hui
les partis de gouvernement ne rassemble plus que la moitié des
suffrages contre les partis protestataires qui continuent à séduire
nombre de français. Ce qui confirme la méfiance à l'égard des partis.
L'organisation partisane
La machine politique (Robert Michels)
Un
parti est une entreprise de mobilisation, une structure qui s'inspire
de l'art militaire et qui a donc plus à voir avec des formes
d'autorité, délégation, subordination qui sont le propre de l'armée
qu'avec le jeu de la délibération, le pluralisme (que l'on attendrait
d'une formation démocratique). Le parti n'est pas une instance de
délibération, un réservoir d'idées philosophiques, mais une entreprise
de conquête des suffrages et du pouvoir.
Le bossisme américain hier et aujourd'hui
Michels
a été clairvoyant quand il a mis en évidence que l'existence des chefs
est un phénomène inhérent à toutes les formes de la vie sociale. Or
cette existence est sur plusieurs points incompatible avec le postulat
de la démocratie moderne.
Ce leadership dérive de l'immaturité objective des masses. On peut dénombrer trois fonctions des partis politiques :
légitimer un système politique : ils contribuent à pacifier l'expression des combats politiques et sociaux
favoriser l'organisation d'une relève politique : instance de sélection de l'élite
Aux
Etats-Unis entre 1880 et 1940 les partis représentaient un formidable
moyen d'intégrer les populations immigrées. Ils proposent, à travers
des relations de clientèle, des motifs de s'intéresser à la politique
et d'accomplir son métier de citoyen. Le « boss » est la figure du
leader officieux qui exerce son pouvoir sans responsabilité pour
retirer du gouvernement local des profits à la fois personnels et
collectifs qui viendront souder une communauté partisane.
Ex. : A New York, George Pulkitt se contentait de prélever des « pots-de-vin honnêtes » qu'il redistribuait aux nécessiteux.
Ces
« boss » vont donner un soubassement matériel à la relation
électeur-élu. Des « machines politiques » contrôlant des « banques de
voix » sont ainsi créées. On vote en suivant les injonctions de son
chef. On monnaye les votes contre des intérêts matériels. Ces machines
ne sont pas inattentives aux enjeux idéologiques et véhiculent des
thématiques proprement politiques.
L'Etat
fédéral va prendre en charge l'organisation nationale des votes avec de
nouvelles techniques électorales (spots télé, sondages…), les partis
politiques perdent alors leur importance sociale : on va passer de
campagnes d'une forme intensive en capital humain à une forme intensive
en capital financier.
Ex.
: 1880 Près de 2.5 millions de personnes sont mobilisées pour les
élections mais le coût est très modeste (Lincoln est élu en engageant
100.000 $). Aujourd'hui, quelques dizaines de milliers de personnes
suffisent mais les dépenses ne cessent d'augmenter.
Ressources collectives et individuelles
1) Le financement des campagnes électorales : le cas des Etats-Unis
La possession d'un patrimoine est la 1e
condition pour entrer en campagne. 1/5 des membres du Congrès sont des
millionnaires en $, 95% des candidats ayant emporté un mandat de
parlementaire étaient ceux qui avaient dépensé le plus d'argent durant
la bataille électorale. Depuis 1976, la Cour Suprême a statué en
affirmant la limite de contribution des sympathisants et des comités
politiques mais en affirmant aussi qu'aucun plafond ne peut être fixé
aux contributions personnelles. C'est la porte ouverte à l'inflation
des dépenses et donc à une filière ploutocratique d'accès aux mandats.
Le
coût moyen d'un siège de sénateur entre 1980 et 1996 a été multiplié
par 6 pour atteindre près de 4 millions de dollars en moyenne, 6
millions pour les sénateurs sortants.
Le
coût d'une élection à la chambre est passé de 80.000 $ à 550.000 $. La
compétition politique est une compétition financière aux Etats-Unis. En
outre le taux de monopolisation de la fonction élective s'est accru :
95% des sortants sont réélus. La part des parlementaires ayant remporté
plus de dix élections consécutives à la chambre est passé de 2.3% en
1913 à 22% en 1971.
La
compétition électorale est soumise à une réglementation de type
monopolistique. Le coût d'entrée dans le jeu électoral s'élève, la
prime au sortant se renforce. Ce passage tient pour beaucoup à une
monétarisation croissante de l'exercice du ralliement des suffrages. Ce
n'est pas la compétition qui décline, au contraire c'est la
compétitivité qui, en s'intensifiant, limite les conditions d'entrée
sur le terrain électoral.
La
publicité télévisée a fait son entrée en 1952 (campagne d'Eisenhower).
C'est un atout précieux qui permet de devenir rapidement une figure
familière. Les listes électorales classent les électeurs d'après leur
appartenance à un parti politique, leur âge, sexe, participation
électorale, situation de famille, situation financière. Grâce à ces
listes le travail de démarchage devient plus simple, plus systématique.
Aux Etats-Unis, 2500 entreprises sont spécialisées dans ce seul
commerce (vente de listes d'électeurs). Les candidats peuvent ainsi
exclure tous les segments non rentables. Depuis une quinzaine d'années
on estime ainsi que 60% du corps électoral inscrit ne reçoit aucune
information des candidats. Si on rapporte ce nombre à l'ensemble des
personnes en âge de voter il est de 78%.
Autre pratique, le recours massifs aux consultants.
2) Le cas français
Jusqu'en
1988, les circuits financiers sont délaissés par le législateur, il
n'existe aucune réglementation en matière de financement des partis. La
loi du 11/03/88 institue un plafond pour les dépenses engagées par les
candidats et institue la tenue d'un compte de campagne.
Le
financement public s'organise avec des conséquences profondes :
remboursement forfaitaire par l'Etat des dépenses électorales réalisées
par chaque candidat. En 1988, 1 milliard de francs ont été dépensés à
ce titre. 10 millions de francs sont prévus pour le remboursement
forfaitaire des candidats n'atteignant pas les 5%.
Des limites ont été apportées au financement privé des opérations des campagnes :
plafond des dons des contribuables
« » entreprises
une personne ou une entreprise ne peuvent pas financer plus de 10% d'un candidat
Puis ce statut a été modifié en janvier 1995 :
interdiction des dons des entreprises
dons des personnes privées limités à 30.000 francs.
Les
dépenses électorales comprennent : les frais de fonctionnement (QG de
campagne), les réunions publiques (voire fêtes électorales), les
déplacements, les frais d'édition, l'organisation de sondages. Les
limitations donnent lieu à la mise en place d'un véritable « management
» électoral.
Les groupes d'intérêt
Groupes et intérêts : la construction des causes
Les
partis politiques sont spécialisés dans la production de
représentations générales et transversales aux classes et groupes
sociaux. Le répertoire d'action des partis et celui des groupes
d'intérêts sont différents.
En
France il existe quelques groupes d'intérêt mais c'est une structure
entourée de suspicion, réputée contraire à la formulation de l'intérêt
général. On passe donc sous silence l'action de ces structures. Ces
groupes sont soit des syndicats, soit des associations de type loi
1901. Les syndicats peuvent se voir reconnaître la présomption de
représentativité et être associés à l'action administrative.
La composante organisationnelle
Les
associations les plus nombreuses sont celles qui agissent dans le
secteur sportif (9.4 millions), puis les syndicats et associations
professionnelles (4.5 millions environ) ensuite les associations
culturelles (3.5 millions). La PCS la plus représentée est celle des
gens aisés et diplômés (1/3 des adhérents).
Réseaux d'intérêt et réseaux de pouvoir
Plusieurs critères sont nécessaires :
l'existence d'intérêts communs partagés par la majorité d'un groupe et qui sont l'enjeu d'une politique gouvernementale
les intérêts communs ne doivent pas être abstraits
une organisation structurée, cohérente, alliée à un leadership
une motivation solidaire et militante au sein d'un groupe, un sentiment de solidarité
Aux Etats-Unis les lobbies s'affichent. Sur Washington street, 50 bureaux sont établis par des groupes d'intérêt.
Le lobbying : essai de description analytique
Aujourd'hui
6/10 des américains appartiennent à une organisation quelle qu'elle
soit. Ces organisations apportent une aide financières aux candidats
aux élections. En 1984 pour les présidentielles, les groupes d'intérêt
ont donné 110 millions de $.
La
portée de ce travail peut avoir un plus ou moins grand impact selon que
les profits générés reviennent aux seuls membres militants de
l'organisation ou à tous les professionnels du secteur concerné.
Il
y a différents types de groupes : les « groupes véto » (qui s'oppose à
des réformes lésant leur groupe), les « groupes de réforme » (qui
assurent la promotion d'un texte de loi).
Ces
groupes marquent la renaissance d'un véritable néo-corporatisme. Non
plus le corporatisme classique (qui voulait se substituer au
législateur) mais le corporatisme propre aux démocraties pluralistes
(qui est plus en faveur d'un partenariat).
Les
groupes de pression offrent des capacités d'encadrement, des aptitudes
techniques et une expertise dont l'administration profite. Ce sont
parfois de véritables communautés de politique publique qui prennent
forme en cogérant un secteur.
Michel
Guibal souligne que 40% des textes de loi adoptés entre 74 et 81 n'ont
pas eu de décrets d'application, notamment à cause de cette cogestion.
Les groupes d'intérêt parviennent souvent à bloquer le processus
législatif.
Les moyens des lobbyistes varient selon les cas de figure :
au
Royaume Uni un député qui défend des intérêts catégoriels doit le faire
savoir au début d'une législature par une déclaration publique
aux Etats-Unis on sait ce que gagnent les lobbyistes
en France ils n'existent pas, les pouvoirs publics les ignorent
Pour
les groupes d'intérêt il est important de savoir se donner une force
publique valorisée. Parmi les techniques en expansion on compte
l'organisation de colloques, congrès, salons (1960 : 500 colloques
organisés ; 1995 : 50.000).
La
démonstration de masse reste une façon de se mettre en valeur. De même
que l'orchestration d'un scandale pour faire parler d'une cause.
Chapitre 5 :
Le métier politique
La
problématique schumpeterienne part du profit pour tenter de rendre
compte de la cohérence des pratiques. C'est une problématique qui
s'appuie sur un postulat : quand on proclame que les électeurs élisent
leur député, nous nous exprimons sans aucune précision, la vérité c'est
que ce sont les députés qui se font élire par les électeurs : il existe
des entrepreneurs en politique car l'action de démarchage électif
s'opère au sein d'un marché.
La naissance de l'entrepreneur politique
La « fin des notables » (Daniel Halévy)
Définition du notable
L'entreprise
politique vient de la fin des notables. Un notable c'est un amateur
économiquement indépendant, qui jouit d'une disponibilité, d'une
légitimité qui repose sur un héritage familial dont la notoriété est
liée à la magie d'un nom. Michel Crozier corrige cette définition en
disant que ce qui fait un notable c'est plus une onction politique
qu'une origine sociale. Pour lui la notabilité est la transformation
d'un élu en un intermédiaire redouté de l'administration et de la
circonscription. Pour Tulesque, le notable est celui qui consacre une
domination traditionnelle par le moyen de l'élection.
Les hommes nouveaux
Arrivée d'un nouveau personnel politique : la petite et moyenne bourgeoisie et la classe ouvrière.
Evolution du personnel de la chambre des députés entre 1871 et 1945 :
Noblesse de 34% à 3%
Haute bourgeoisie de 36% à 18%
Moyenne bourgeoisie de 19% à 43%
Petite bourgeoisie de 8% à 19%
Classe ouvrière de 3% à 17%
Cette montée en puissance des classes moyennes a aussi été constatée dans les ministères.
Les filières d'accès : la carrière politique (1870-1990)
Le recrutement politique
Il existe plusieurs voies :
accès par la notabilité (« cursus honorum ») : repose sur la mise en valeur de liens de clientèle territorialisés
accès par le militantisme
: carrière plus lente, capitaux moins personnels : accumulation de
ressources collectives dont l'intéressé va faire fructifier la valeur à
son profit, va symboliser les combats et les moyens. Le capital
associatif ou partisan permet d'accumuler un savoir-faire, de faire
état de sa capacité à parler, d'utiliser une logistique.
accès par le centre :
filière spécifique à la Ve république. Des hommes politiques utilisent
les ressources du diplôme et des cabinets ministériels pour entrer en
politique. Rôle déterminant de l'ENA comme instance de qualification.
On ne naît pas politocrate, on le devient, on doit valoriser son
héritage.
La notion de ressources politiques
Naissance de savoirs-faire spécifiques qui vont modifier les règles du jeu électoral. On doit se présenter en public.
Ex.
: Joseph Caillaux : entre en politique contre le Comte de la Roche
Foucauld en 1898 dans la Sarthe. Le comte ne fait pas campagne, il est
réélu depuis 1871. Caillaux s'engage dans une campagne : tracts,
tournée en voiture, serre les mains, visite les salons, cafés, clubs
sportifs… et est élu. C'est le premier homme politique moderne.
Ces hommes vont remplacer leur capital primaire plus faible par du capital collectif, associatif et partisan.
Pour être populaire ils ont recours à différentes pratiques :
- prodiguer des recommandations, appuyer des demandes auprès de l'administration
- donner des décorations
- accès privilégié à la manne ministérielle : subventions
- avoir des amis hauts-fonctionnaires, notamment dans la préfectorale
Pour
surmonter l'épreuve du jugement des électeurs et rebondir plus
facilement, les hommes politiques peuvent détenir plusieurs mandats.
Les députés cumulards étaient 63% en 1958, ils étaient 80% en 1967.
Un bon élu se fait reconduire dans ses mandats. 54% des députés sont réélus deux fois ou plus.
Il y a trois filtres principaux à l'entrée en politique :
l'engagement idéologique (militantisme)
la sélection des candidats
les élections proprement dites
Mais il en existe d'autres :
le
sexe (les femmes n'ont pas les mêmes chances même si le monde politique
s'est ouvert aux femmes - effet inverse : la parité met plus de femmes
sur le devant de la scène)
l'âge
(l'accès sera différent en fonction de l'image socialement construite
de l'appartenance à certaines tranches d'âge - ex. : la tranche des
25-35 ans est 10 fois moins représentée qu'elle ne devrait l'être)
la position sociale (plus on s'élève dans l'échelle sociale plus il est aisé de faire de la politique)
le
diplôme (l'importance du diplôme est considérable pour la réussite
politique - en 1981 : 82% des députés sont diplômés de l'enseignement
supérieur)
Si
on fait une radiographie du personnel politique, force est de constater
que des régularités sociales rendent compte de a réussite électorale
comme si « les dirigeants des partis se ressemblaient plus entre eux
qu'ils ne ressemblent à leurs militants » (Halévy).
Les stratégies électorales
Les règles de la compétition politique
L'élection
est la concurrence arbitrée par le suffrage. L'un de ses enjeux
consiste à aménager les modalités du décompte des voix à son avantage.
C'est toute l'histoire des modes de scrutin.
scrutin proportionnel : passe pour favoriser une représentation fidèle des courants de pensée, une égalité arithmétique de chaque voix.
scrutin majoritaire
: permet plus facilement l'établissement d'équipes susceptibles de
diriger une communauté, idée de stabilité. C'est un vote d'efficacité.
Le
système de représentation à la proportionnelle n'a cessé d'augmenter au
XXe siècle. Avant 1918, 15% des scrutins étaient proportionnels,
aujourd'hui il y en a 70%. En France les modes de scrutin ont changé
neuf fois entre 1871 et 1986.
Chaque
parti essaie d'aménager le scrutin pour en être le bénéficiaire (ex. :
PS impose des urnes transparentes et la signature des listes
d'émargement, le PC milite pour faire mettre sur le bulletin un signe
distinctif pour chaque parti pour les illettrés).
Le 3e tour du scrutin se passe souvent devant le juge. 1/5 des élections sont annulées par le Conseil d'Etat.
Les
élections c'est l'antithèse du recours à la force. Mais la situation
est culturellement paradoxale en France car la démocratie est fondée
par un acte de violence. Acte qui suscitera des mimétismes (3
glorieuses, 1936, 1968). Le nombre de manifestations violentes est
passé de 79 pour mille au XIXe siècle à 105 pour mille au XXe siècle.
Mais c'est une violence qui est :
consacrée dans des lieux spécifiques (lieux de pouvoir)
de plus en plus pacifique (mise en scène)
de moins en moins tournée vers la prise du pouvoir (ex. : mai 68)
La
concurrence en politique devient elle aussi une concurrence de routine,
réglée avec ses échéances régulières. La lutte devient compétition. Il
y a un accord tacite entre les acteurs politiques pour ne pas dépasser
un certain seuil de violence politique. Sérieux et modération sont les
maîtres mots. On parle du probable et non du souhaitable (disparition
de l'entrepreneur prophétique).
Pour qu'une démocratie soit consolidée il y a plusieurs conditions :
que les chances de gain soient formellement réparties par égalité
que les joueurs participent loyalement à ce jeu (engagement à laisser le vainqueur s'attribuer les gains du jeu)
qu'une forme d'alternance permette à chaque joueur de limiter l'appropriation des règles du jeu par l'un des participants
C'est
l'idée que recourir à la violence ne doit pouvoir procéder que d'une
absence de choix : on est violent car on ne peut faire autrement.
Une
loi sociologique se dégage, c'est l'idée que plus la perspective pour
un parti politique paraît éloignée d'accéder aux positions de pouvoir
dans un état donné des rapports de force au sein du champ politique,
plus cette perspective est constituée en prophéties sociales. Au
contraire, plus un mouvement va accéder à des gains dans le jeu
électoral, plus il va rationaliser ses stratégies, pacifier son
discours.
Dans son Tableau politique de la France de l'ouest, André Siegfried parle de l'existence de tempéraments politiques régionaux qui se transmettraient de génération en génération
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